Les appareils mobiles ont-ils un effet sur la santé de leurs utilisateurs ?

Appareils mobiles et santé

Peut-être avez-vous récemment reçu le dépliant « Mon mobile et ma santé (version 2016) » formalisé par la Fédération Française des Télécoms (FFT). Sur le site web de la FFT l’on trouve la brochure au format PDF qui aborde les connaissances scientifiques, la réglementation et les recommandations officielles en termes d’utilisation du téléphone portable. Ce document existe depuis 2003 et est mis à jour en fonction des informations disponibles.
Quelle lecture peut-on en faire ?

On trouve deux prises de position dans la partie « connaissances scientifiques » de ce dépliant : l’une provient d’un communiqué de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSES) et l’autre est issue d’un aide-mémoire de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

  • Bien que l’ANSES ne concluait pas en 2013 à un « effet sanitaire avéré » de l’utilisation du téléphone portable sur la santé, elle mentionnait que l’actualisation des connaissances scientifiques sur le sujet « pointe toutefois, avec des niveaux de preuve limités, différents effets biologiques chez l’Homme ou chez l’animal », et ajoutait que « certaines publications évoquent une possible augmentation du risque de tumeur cérébrale, sur le long terme, pour les utilisateurs intensifs ». Aucun effet biologique n’était relevé chez l’enfant en 2016, mais un effet délétère était évoqué en rapport avec leurs fonctions cognitives (mémoire, fonctions exécutives et attention).
  • L’OMS, quant à elle, annonçait en 2014 dans son aide-mémoire n°193 qu’« à ce jour, il n’a jamais été établi que le téléphone portable puisse être à l’origine d’un effet nocif pour la santé ». Le document évoquait que des recherches sur les effets à long-terme étaient encore en cours, promettant que l’OMS procéderait d’ici 2016 à une « évaluation formelle du risque pour tous les effets sur la santé ». Notons que dans la version actuelle du dépliant, le passage « d’ici 2016 » a été remplacé par des points de suspension entre crochets « […] ». A notre connaissance, l’OMS n’a toujours pas diffusé les résultats de cette évaluation formelle qui était prévue en 2016.

Quelles conclusions tirer de ces déclarations contradictoires ? Faut-il se méfier du téléphone portable ? Comme nous allons le voir, la nature même de la recherche scientifique rend toute prise de position délicate…

L’importance de la sémantique

Lorsque l’on rapporte les résultats d’une recherche scientifique, il convient d’être prudent sur les mots utilisés. En effet, ce qui est attribué à un chercheur ou un membre de la communauté scientifique fait souvent l’objet d’un argument d’autorité sans que l’on en comprenne clairement toutes les implications.

A la base de tout travail de recherche se trouve une hypothèse. Cette hypothèse peut provenir du chercheur lui-même (« je me demande si… ») ou être évoquée par d’autres dans leur propre travail (« j’ai réussi à prouver ceci, et ainsi il serait intéressant de savoir si… »). Dans le cas de l’utilisation du téléphone portable, une hypothèse typique pourrait être, par exemple :

« L’utilisation du téléphone portable augmente les risques de développer une tumeur cérébrale ».

Mais ce n’est pas directement ce que le chercheur va tenter de prouver. À partir de son hypothèse, il formule une « hypothèse nulle », c’est-à-dire l’inverse exact de son hypothèse. Ici, cela donnerait :

« L’utilisation du téléphone portable n’augmente pas les risques de développer une tumeur cérébrale »

Si les données recueillies nous empêchent d’affirmer l’hypothèse nulle ci-dessus avec certitude, alors on peut conclure qu’il existe un effet.

Mais un problème se présente : les données collectées dans ce genre de recherches ne sont jamais parfaitement indiscutables. Dans l’étude Interphone, l’utilisation du portable des participants est évaluée simplement en leur demandant d’estimer, sur les dix dernières années, le nombre d’appels passés par semaine et la durée de chaque appel. En comparant les chiffres des individus présentant une tumeur cérébrale et ceux des individus sans tumeur, on peut donner une estimation du risque supplémentaire qu’entraîne une forte utilisation du téléphone portable.

Étonnamment, l’étude a trouvé que les individus utilisant modérément le téléphone portable couraient moins de risques de développer une tumeur cérébrale que ceux qui ne l’utilisaient jamais. Il n’y avait que pour les 10% d’utilisateurs les plus intensifs que le risque était augmenté, et il était impossible de l’affirmer avec certitude. Devrait-on pour autant conclure que le téléphone portable aurait à petite dose un effet protecteur contre les tumeurs cérébrales ? Non, car les chercheurs eux-mêmes attribuent ces résultats surprenants à des problèmes dans leur méthodologie, c’est-à-dire la manière dont les données ont été collectées. Malheureusement, cela nullifie le reste de leurs résultats, et aucune conclusion sérieuse ne peut être tirée de leur étude. Ces problèmes méthodologiques, qui ont été soulignés par d’autres chercheurs comme Hardell, Carlberg & Mild (2011), auraient pu être évités. Par exemple, les raisons pour lesquelles Interphone n’a utilisé que des participants entre 30 et 59 ans ne sont pas claires, en particulier si les données des 20-30 ans étaient disponibles.

Le groupe de recherche de Hardell disposait de son propre échantillon de participants afin de reproduire l’étude. Lorsqu’ils ont mené une analyse statistique en utilisant les mêmes paramètres qu’Interphone, les résultats étaient similaires et tout aussi surprenants. Mais en prenant en compte les 20-29 ans ainsi que l’utilisation des téléphones fixes sans fil en plus des téléphones portables (ce qu’Interphone avait omis de faire), le risque de tumeur double avec une forte utilisation du téléphone.

Si l’on considère que l’étude Interphone a obtenu des résultats non concluants en omettant des éléments dans leur recherche, nous sommes en droit de nous demander s’il s’agit d’une pratique visant délibérément à brouiller le lien entre portables et santé. En effet, pour affirmer qu’il existe un lien « probant » entre ces deux éléments, toutes les recherches menées devraient pointer dans cette direction ; toutefois, il suffit de quelques résultats nuls pour affirmer que les résultats sont « partagés » et que le lien est « peu clair ».

Méta-analyses

Pour pallier cela, en particulier dans des domaines où le nombre d’études est très élevé, la science a recours à des méta-analyses. Dans une méta-analyse, au lieu de mener une expérience, le chercheur compile les résultats d’un grand volume d’études (parfois plus d’un millier), en classant celles-ci selon leur méthodologie et leur sujet d’investigation.
Lorsque l’on parle d’étudier le lien entre « portable et santé », cela implique d’étudier à la fois :

  • toutes les longueurs d’ondes sur lesquelles un portable peut émettre, incluant non seulement le réseau téléphonique mais aussi le WiFi.
  • L’effet de ces ondes sur l’apparition de troubles, en étudiant non seulement les cas de tumeurs mais aussi l’effet sur les cellules, l’ADN, le sommeil, l’humeur ou encore le système cardio-vasculaire.
  • La relation entre la durée / le mode d’utilisation du portable et l’apparition de chacun de ces troubles.
  • La présence d’effet sur le court terme (lors d’un appel) et sur le long terme (après une utilisation régulière durant plusieurs années)

L’étendue de ces variables rend le champ des possibilités extrêmement important, ce qui explique le nombre impressionnant d’études que l’on peut trouver à ce sujet. Mais cela n’a pas arrêté Victor Leach et Steven Weller, deux membres de l’ORSAA (Oceania Radiofrequency Scientific Advisory Association). Leach et Weller ont compilé l’ensemble des recherches menées entre 2000 et 2016, qu’il s’agisse d’études in vivo sur l’animal, d’études in vitro sur des cultures de cellules, ou d’études humaines menées sur le long terme.
RadiofréquencesVoici la proportion des études dans chaque catégorie qui a détecté un effet négatif des ondes sur la santé :

  • Études sur l’animal in vivo: 132 sur 186 études (71%).
  • Études in vivo sur des cellules humaines : 37 sur 51 études (72,5%).
  • Études épidémiologiques (apparition de troubles sur le long terme) : environ 50% des études.

En conclusion, Leach et Weller mettent en évidence les risques observés dans les études in vitro et in vivo, en insistant sur le fait que les effets thermiques des ondes n’étaient pas les seuls responsables de ces troubles. Les études épidémiologiques, bien que partagées sur les résultats, montrent des effets particulièrement forts sur les tumeurs cérébrales Glioblastoma Multiforme et Meningioma, sur les utilisateurs intensifs (plus d’une heure par jour), sans risque sur les utilisateurs occasionnels. Selon Leach et Weller, il est évident que la recherche financée par l’industrie du téléphone a été utilisée pour créer de la confusion dans les conclusions tirées des études.

Les liens statistiques n’impliquent pas nécessairement un risque de troubles indiscutable, mais ils pointent définitivement vers un risque potentiel et constituent une raison plus que suffisante pour adopter une approche prudente de l’utilisation des appareils sans fil.

Ce qu’il faut retenir par-dessus tout, c’est qu’une étude qui ne trouve pas d’effet en utilisant une bonne méthode devrait avoir plus de crédit qu’une étude qui ne trouve pas d’effet car sa méthode ne permet pas une utilisation correcte des statistiques. Cependant, aujourd’hui dans les deux cas, du point de vue d’un public peu habitué à la littérature scientifique, le résultat sera le même : on conclut qu’il n’y a pas de lien établi entre téléphone portable et problèmes de santé.

Prochaines étapes

Appareils mobiles et santé des utilisateurs

Que pouvons-nous tirer de tout cela ? Tout d’abord, nous devons reconnaître que la recherche dans un domaine aussi complexe ne sera jamais parfaitement unanime dans ses résultats. Toutefois, cela ne doit jamais constituer une excuse pour refuser toute prise de position. Quelle est donc la marche à suivre ?

La position adoptée par les autorités dans le dépliant, qui est de fournir des recommandations pour limiter son exposition aux ondes, est ce que l’on peut considérer dans le cadre du « doute raisonnable ». Mettre en place ces recommandations est peu handicapant si les ondes n’ont pas d’effet sur la santé, et sera une initiative félicitée si l’on réussit un jour à prouver un lien définitif entre utilisation du téléphone portable et détérioration de la santé.

Quelle est la prochaine étape pour la recherche ? Comme l’évoquait l’extrait du communiqué publié par l’ANSES, l’utilisation du portable peut avoir un effet sur les fonctions cognitives des enfants, mais il n’est pas encore possible de savoir si cet effet est dû aux radiofréquences ou directement au fait d’utiliser un mobile. Ainsi, il deviendra bientôt crucial d’aller au-delà du biologique pour investiguer le psychosocial, à savoir la manière dont l’utilisation du portable impacte notre comportement mais aussi la relation que nous entretenons avec les autres. A mon sens, les prochaines recherches placeront enfin l’utilisation des appareils mobiles à la croisée des chemins entre santé physique et santé mentale.

En résumé

  • Le dépliant fourni par la FFT offre des prises de position contradictoires sur la relation portable/santé.
  • Certaines recherches, comme l’étude Interphone, pêchent par leur méthodologie et viennent brouiller la vue d’ensemble.
  • D’autres chercheurs, grâce à des méta-analyses, nous aident à distinguer des tendances dans ces résultats.
  • Les recommandations pour limiter son exposition aux ondes sont dans le cadre du « doute raisonnable ».
  • La recherche devra bientôt passer du domaine de la santé physique à celui de la santé mentale.

Références

  1. INTERPHONE Study Group. (2010). Brain tumour risk in relation to mobile telephone use: results of the INTERPHONE international case-control study. International journal of epidemiology, 39(3), 675.
  2. Hardell, L., Carlberg, M., & Hansson Mild, K. (2010). Re-analysis of risk for glioma in relation to mobile telephone use: comparison with the results of the Interphone international case-control study. International journal of epidemiology, 40(4), 1126-1128.
  3. Leach, M. V., & Weller, M. S. (2016). What Does the Research Tell Us About the Risk of Electromagnetic Radiation (EMR)?. Radiation Protection in Australasia, 33(2), 21-37.

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Auteur de cet article :

Dylan Michot

Dylan Michot

Loin de me satisfaire d’une formation universitaire, je suis intimement convaincu que le croisement des connaissances de domaines indépendants est le moteur de l’innovation et de la créativité. C’est pour cette raison que je m’intéresse à l’écriture, aux sciences cognitives et à l’informatique, dans un effort incessant pour faire mentir le dicton anglo-saxon « jack of all trades, master of none ».

1 réponse
  1. Schmitt
    Schmitt dit :

    Bonjour,
    Merci pour cet article qui fait preuve d’honnêteté et de clairvoyance. Je suis électrosensible, et, pour autant, je voudrais juste que l’on voit les choses comme vous venez de le faire. Lorsque j’explique mon « allergie » à la wifi, et comment il vaudrait mieux s’en servir (car j’ai conscience que c’est bien pratique) j’explique que le flux de la wifi devrait être vu comme l’eau qui coule du robinet. Nous ne la laissons pas couler éternellement. La wifi pourrait, comme l’eau, être allumée et éteinte après utilisation. Le portable pareil. Bref, merci pour votre article. Restons vigilant sans être alarmiste, conscient et plein de bon sens.

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